Extrait de « La liberté dans les relations affectives », par Colette Portelance
« L’oubli de soi est une des plus importantes conséquences du manque d’écoute de ses peurs et de ses besoins, du manque d’attention à ce qui se passe en soi.
Il entraine une incapacité à être en relation authentique et crée des relations plutôt superficielles où chacun dépense son énergie à s’occuper de l’autre pour ne pas souffrir, ce qui cause, à la longue, des souffrances beaucoup plus grandes. En effet, celui qui s’oublie ne donne pas d’importance à ses désirs, à ses besoins et à ses émotions ; par conséquent la personne qu’il aime ne lui accordera pas la reconnaissance dont il a besoin puisqu’il ne se la donne pas lui-même.
Se sentant négligé, il aura peur d’être abandonné.
Malheureusement, sa peur n’est pas sans fondement puisque, très souvent, les personnes qui s’oublient elles-mêmes sont aussi abandonnées par les autres.
De plus, elles sont d’autant plus démunies qu’elles se trouvent constamment dans des relations où elles finissent par être délaissées sans vraiment savoir pourquoi.
Elles ont pourtant tout donné, tout concédé, tout sacrifié ; elles ont abdiqué, lâché, renoncé pour sauver la paix et pour ne pas perdre.
Comme l’altruisme, le don de soi et l’abnégation ont été largement valorisés par la culture judéo-chrétienne, les notions d’amour de soi et d’écoute de soi y étant souvent synonymes d’égoïsme.
En conséquence, plusieurs personnes sont incapables d’accueillir attention et reconnaissance et de s’occuper de leurs besoins parce qu’elles se sentent coupables, incorrectes, voire fautives.
Il n’y a pas de véritable amour de l’autre sans amour de soi. Celui qui donne sans penser à lui-même est généralement mené de l’intérieur par des émotions désagréables, souvent subtiles, qu’il n’a pas identifiées telles, la peur, la culpabilité, l’insécurité.
Son élan vers l’autre, son don de soi n’est pas de l’amour réel mais plutôt un moyen de dissiper ses propres malaises. Alors, ce qui semble être de l’altruisme est, en fait, de l’égoïsme.
Notre éducation a favorisé les introjections à propos de l’altruisme et de l’égoïsme qui nous empêchent d’être nous-mêmes et qui déforment le véritable sens de l’amour.
Si nous nous occupons des besoins de l’autre parce que nous avons peur de le perdre ou parce que nous nous sentons coupables ou tout simplement parce que nous ne voulons pas paraître égoïstes, notre action devient un moyen défensif de nous occuper de nous, un moyen de ne plus sentir la peur et la culpabilité, une sorte de pansement qui ne guérit rien parce que ce qu’il tente de cacher n’est pas le véritable problème.
En attirant l’attention sur l’extérieur pour dissiper une souffrance intérieure inconsciente, nous n’agissons en aucune façon sur cette souffrance. Au contraire nous l’abandonnons pour nous centrer sur l’autre. Nous manquons ainsi d’amour pour nous-mêmes et notre élan pour l’autre nait de la peur plutôt que d’un sentiment d’amour véritable.
En identifiant la peur, la culpabilité ou l’insécurité nous pouvons l’exprimer ou la gérer plutôt que de prendre inconsciemment des moyens détournés pour ne plus la sentir et ainsi fausser la relation.
C’est cette conscience de notre vécu et de nos besoins qui nous donne la liberté de régir nos réactions et qui nous permet de développer l’amour de nous-mêmes sans lequel nous ne pouvons éprouver d’amour réel pour les autres.
Nous aimer nous-mêmes, c’est ne pas nous oublier, ce qui demande beaucoup de vigilance par rapport à notre vécu, notre éducation nous ayant fourni de nombreux pièges qui nous mènent à nous oublier pour éviter de souffrir.
L’un de ces pièges est le non-dit. Par peur de blesser, de déranger, de déplaire, de perdre, d’être jugé, ridiculisé, critiqué, par peur du conflit, combien de personnes s’empêchent de dire leurs besoins, de dire leurs émotions, de dire la vérité ?Savent-elles que le non-dit crée une distance et une insécurité et que, par conséquent, il finit par briser les liens qui les unissent à ceux qu’elles aiment ?
D’autres personnes, menées par l’anxiété, la pitié et la culpabilité inconscientes, s’oublient en prenant en charge les souffrances, les problèmes et les comportements des autres ou en contrôlant leurs émotions et leurs actions en essayant de les changer.
Et que dire de celles qui, pour avoir la paix à tout prix, nient complètement leurs valeurs, leurs rêves, leurs désirs et de celles qui disent toujours « oui » à l’autre pour ne pas qu’il se sente rejeté ? Sont-elles conscientes qu’elles se rejettent elles-mêmes et qu’elles risquent un jour d’être rejetées parce qu’elles ne se donnent pas assez d’importance pour attirer le respect et l’amour ? Dirigées par des peurs, des culpabilités et des insécurités inconscientes, les personnes qui s’oublient elles-mêmes en ne se donnant pas de place à leur vécu émotif, se condamnent à la perfection et ne se permettent pas l’erreur.
Il est plus important pour elles d’être correctes que d’être authentiques, de dépasser leurs limites physiques et psychiques que de se respecter, ce qui fait qu’il n’y a pas de place dans leur vie pour le plaisir, le jeu, la joie, la créativité, la liberté. Elles sont emprisonnées par l’inconnu qui les habite. Démystifier cet inconnu, c’est se donner du pouvoir sur sa vie. Ne plus nous oublier, c’est nous donner le droit de dire « non », le droit d’être nous-mêmes, le droit de respecter nos valeurs en de réaliser nos rêves.
C’est aussi accepter que nous avons parfois besoin d’aide et que nous avons besoin de temps pour apprendre à nous aimer, à nous respecter et, par conséquent, à offrir aux autres un amour vrai, libéré de cette forme aliénante d’altruisme qui nous empêche d’exister pleinement et d’avoir du pouvoir sur notre vie ».
Avec Amour,